LE TRUC n’est pas un jeu d’argent, même si par certains côtés il s’apparente au poker par le côté bluff de l’annonce « Truc !». Perdre ou gagner n’a guère d’importance. C’est participer et passer un bon moment qui est important. C’est un jeu de hâbleurs, pagnolesque, où la moquerie des autres joueurs sans méchanceté est la règle. Il se joue le plus souvent deux contre deux, avec des jetons de deux catégories, barres et pions (« ronds »). Une bonne partie de truc se joue à l’heure de l’apéritif ou après un bon repas, c’est-à-dire un moment optimal pour que les échanges entre participants soient libérés. C’est un jeu subtil où tout est une question d’équilibre entre mensonge, conservation du sérieux, stratégie et garder sa bonne humeur.
Une grande qualité est la rapidité, même si l’hésitation peut être simulée. Une partie en cinq barres dure dix minutes environ. Elle peut aussi se jouer en six barres si les joueurs le décident. Le jeu se joue à trois cartes chacun avec un jeu de trente-deux cartes. Les couleurs n’ont pas d’importance. La partie elle-même se joue en trois levées ou plis, chaque pli étant remportée par la carte la plus forte.
Les cartes les plus fortes sont dans l’ordre :
le sept, puis l’as, le roi, la dame, le valet, le dix, le neuf et le huit.
Pour gagner une barre, il faut faire deux plis sur trois possibles. Lors d’un pli, quand les cartes les plus fortes sont identiques pour deux adversaires, le pli est dit « pourri ». Si le premier pli est pourri c’est celui qui emporte le second qui récupère aussi le premier. Quand le second ou le troisième pli est pourri, c’est celui qui a emporté le premier pli qui emporte ce pli pourri. Le premier pli est donc important.
La grande différence par rapport à d’autres jeux, c’est qu’on est autorisé à faire des signes à son partenaire pour lui communiquer la valeur de ses cartes, en évitant bien sûr que les adversaires les voient. Clignement d’un œil pour le sept, moue des lèvres pour un as, haussement d’épaule pour un roi. Mais parfois, les signes sont des faux signes pour induire l’adversaire en erreur…
Lors du jeu, un moment clé survient lorsqu’un des joueurs fait « Truc ! » en tapant sur la table de jeu. C’est un moment de rupture dans le déroulement du jeu. Les adversaires peuvent ou non accepter de continuer à jouer. S’ils refusent, parce qu’ils considèrent qu’ils vont perdre, un rond seulement est en jeu. S’ils acceptent, c’est alors une barre qui est en jeu. Le joueur qui fait truc peut mentir si son jeu ne lui permettrait pas de gagner. Mais bien sûr, c’est risqué, si les adversaires ont le jeu pour gagner. Mentir au bon moment est considéré comme la caractéristique d’un bon joueur de truc.
Si une équipe gagne trois ronds, elle bénéficie de la possibilité de jouer pour une barre sans que l’annonce Truc soit faite. Elle peut alors choisir de jouer ou non, sans l’avis des adversaires selon la qualité de son jeu. C’est la « Quitte ». Cette quitte permet de jouer une à trois fois selon l’écart des ronds entre les adversaires (une fois si l’écart est un rond, deux fois pour deux ronds, trois fois pour trois ronds). Mais si l’équipe décide de jouer, les ronds sont supprimés. Si l’équipe décide de ne pas jouer au bout de l’écart des ronds, alors survient la « Chante », partie dans laquelle les joueurs peuvent demander deux distributions de cartes (soit six cartes par joueurs). Ils n’en conservent alors que les trois meilleures et jouent pour une barre sans l’annonce Truc.
Quelques autres subtilités existent qui font que le Truc n’est pas un jeu si simple.
Voici une partie de truc typique… Tot tricon vau truc
Carcans, Chez Olive, le 19 avril 1967, 18h30
Simon, dit la Grimace ou Le Grim pour les intimes, arrive au bistrot après sa journée de travail de maçon. « Alors, qu’est-ce que tu fous ! On fait un truc ? » lance Manu. « D’accord ! Six secs ! » reprend Pinuche. « Et pas comme la dernière fois quand vous avez été fanny, j’espère ! » « Ah non ! » dit Raguet. « Mais toi, tu couches avec les sept ! »
Manu distribue trois cartes à chacun. Ce moment est un des plus importants du truc. Les joueurs s’observent discrètement et communiquent par signe à leur équipier, s’ils le souhaitent, la valeur de leurs cartes. Pinuche a « 14 », c’est-à-dire deux sept et un roi. Il hésite, mais choisit rapidement de ne signaler à son partenaire que le roi. Raguet a vu le signe ! « Oh ! il charge les billons, Pinuche ! » « Et M… ! il m’a vu » dit Pinuche !. Raguet joue petit (un dix). Pinuche met son roi « il l’a vu ! » dit-il innocemment. Le Grim a la main. Il a « Jean Baquey » (soit sept, as et roi) « Atutu ! » crie-t-il ! (Il fait Truc, moment de rupture de la partie). Pinuche et Manu peuvent refuser ou accepter de jouer… « Je n’ai rien » dit Manu. « ça fait rien ! On joue ! » dit Pinuche. Le Grim met son sept, emporte le premier pli et joue son as. Pinuche montre ses deux sept. « Oh ! le C…, il s’est acclaté ! » (il a conservé les bonnes cartes pour la fin) clament Raguet et le Grim. « Allez une barre ! » dit Manu. « Tu nous sers, Samuel ? »
Le jeu se poursuit et reste équilibré. Par deux fois, le Grim a gagné une barre avec un sept à la dernière carte qu’il a collé sur son front. 5 barres partout ! Jeu décisif ! Les cartes sont distribuées. Manu a trois huit (un tricon). « Tot tricon vau truc ! » clame-t-il ! Raguet et Le Grim hésitent. Ils ont sept et deux rois… « Tu joues ! » dit Raguet ! Pinuche rigole… Il a Jean Baquey ! « Il gagne aux points » se plaint le Grim en écrasant son nez…
Raimu aurait aimé jouer au Truc. Malheureusement, ce jeu qui fait partie notre patrimoine culturel Carcannais, qui met en avant le carcannais typique intelligent, roublard, moqueur, qui transcendait les générations et les catégories sociales, qui animait la fin des après-midi de fête et rappelait à tous des souvenirs marquants, ce jeu est en recul parallèlement au recul des bistrots.
Patrick Berron et Jean François Dartigues – Trucayres encore licenciés